LE CHRIST BLESSE
Le mois dernier, nous avons vu deux rêves qui montrent à deux rêveuses que la vie spirituelle, qu'elles prétendent mener l'une comme l'autre, les écarte en fait de leur véritable réalisation, de leur destin de femme sur la terre.
Jung en a parlé à nombreuses reprises.
Etienne Perrot a eu lui aussi à interpréter des rêves qui donnent le même conseil.
A mon tour, j'ai reçu des rêveurs et des rêveuses auxquels le rêve indiquait que la voie bouddhiste, telle qu'ils la suivaient, n'était pas celle qui leur convenait.
A mon grand plaisir, Gayle Delaney, après avoir lu « L'éléphant blanc », est venue dernièrement sur mon blog confirmer cette constatation,.
« Brava, Christiane!
Cette description du rêve et du commentaire qu'il fait sur un problème récurrent est très, très bien fait. Ca va sans dire quel plaisir ton beau français me donne en te lisant.
Et tu as bien raison qu' il est commun pour certains adeptes des disciplines spirituelles, qui visent à la perfection, de rêver qu'ils essaient d'échapper à la vie émotive, à leur péril. En 35 ans de ma carrière de travail avec les rêves, j'ai rencontré pas mal de ces rêveurs, souvent chez les personnes fort connues dans leurs disciplines spirituelles.
Merci, Christiane!
Gaëlle »
Ecrit par : Gayle (Gaëlle) Delaney | 06.02.2010
Ainsi les expériences de plusieurs interprètes de rêves, depuis maintenant un siècle, se conjuguent et attestent qu'actuellement, la voie de nos contemporains occidentaux, pour trouver le divin, n'est pas d'échapper mais au contraire d'adhérer aux contraintes de la vie terrestre, de porter la lourdeur de l'incarnation, de respecter la vie du corps, d'accueillir les émotions positives aussi bien que négatives, celles de l'amour ou de la colère, celles de la vie amoureuse, celles du plaisir comme de la souffrance, au lieu de tenter de choisir les unes et d'exclure les autres.
La voie bouddhiste suivie en Occident est-elle d'ailleurs vraiment celle de l'esprit du Bouddha ?
Et qu'en est-t-il du christianisme ?
Peut-on prétendre que cette voie spirituelle soit plus juste que la voie bouddhiste, telle qu'elle est comprise par les Occidentaux ?
Je n'ai aucune compétence à prétendre à toute affirmation générale. La seule chose que je puisse faire, c'est de vous raconter des rêves qui en parlent. Voici donc aujourd'hui le rêve étonnant d'une fillette.
Rêve : J'ai su ce que c'était que l'amour
C'est un rêve étrange. Je ne sais pas l'endroit.
Un homme apparaît, il boite, il se traîne.
Je sais que cet homme est blessé. C'est le Christ.
Deux compagnons sont avec lui, ce sont les compagnons d'Emmaüs.
Les compagnons se mettent chacun d'un côté du Christ, l'un place le bras gauche du Christ sur ses épaules, l'autre le bras droit. Le Christ peut ainsi poser son poids sur les épaules de ces deux hommes et avancer, ainsi porté, ainsi soutenu.
Le Christ a été blessé lors d'un match de football, il a reçu un coup de pied dans la jambe.
Je le vois avancer vers moi. Je sais que j'aurai à l'aider.
Je le regarde et je vois son visage d'homme souffrant.
Il me regarde et nos yeux se rencontrent, et il me fixe de ses yeux bleus, profonds, intenses,... l'amour m'enveloppe,...
m'envahit,... me pénètre jusqu'à la moelle, tout mon être vibre et brûle. C'est indescriptible.
J'ai su alors ce que c'était que l'amour.
Viviane, toute jeune, a vécu une expérience mystique qui la marquera pour toute sa vie. Comment encore prétendre, devant le récit de cette expérience, que le rêve n'est pas la voie royale où l'âme et le divin entrent en communication ?
Passons à l'interprétation.
Un homme apparaît, il boîte, il se traîne. Cet homme est blessé.
Cet homme, dans le rêve de la petite fille, désigne sa force masculine, que Jung a appelée l'animus. L'image de l'homme, chez la femme, symbolise le principe masculin, qui pense, crée, organise, construit. Il déploie son énergie dans la matière pour la transformer et réaliser son projet. C'est le principe directeur, qui sous-tend toute pensée, tout choix, toute décision, toute action. Ce principe directeur est formé sous l'influence des idées et des opinions régnantes dans la famille et dans l'entourage.
Le rêve indique d'emblée que ce dynamisme est blessé, dans le milieu environnant religieux, culturel et par voie de conséquence, dans la fillette également.
Le Christ
La fillette sait très bien qui est le Christ. Il est le fils de Dieu, de ce dieu dont il dit : « Dieu est Amour ». Or, que montre le rêve ? Le fils du dieu d'amour est blessé. Qu'en déduire d'autre, sinon que la manifestation divine de l'amour est blessée ?
Le Christ a été blessé dans un match de football
La fillette connaît vaguement ce jeu. Elle sait que les hommes aiment beaucoup y jouer. Divisés en deux équipes adverses, les joueurs courent et cherchent à envoyer un ballon avec le pied dans le but de l'adversaire. L'équipe qui marque le plus de buts a gagné.
Le ballon
Ce ballon, le rond, le cercle, la boule sont des symboles de la totalité, de la divinité. Ce ballon est fabriqué. Il désigne une représentation élaborée, une conception humaine du divin.
Le match de foot
Cette rencontre évoque les échanges, les disputes qui ont lieu entre les adversaires, pour faire triompher leur équipe.
L'image décrit ainsi la façon dont l'esprit masculin intellectuel s'est battu pour arriver à imposer une conception de la divinité plutôt qu'une autre. Cette image fait allusion aux disputes, aux guerres, qui au cours des siècles ont opposé les théologiens et les partis religieux. A coups de livres, de discours, d'arguments, lors de séminaires, de colloques, de congrès, de conciles, ils se sont acharnés à vouloir imposer un dogme ou une conception du divin et à condamner l'autre, à coups d' excommunications.
Au cours d'un de ces matchs, le Christ a reçu un coup de pied dans la jambe
Pour tenir debout, l'humain a besoin de ses deux jambes, la droite et la gauche qui maintiennent l'équilibre entre les contraires. Et le rêve montre que le dynamisme intérieur qui permettra à cette fillette de s'affirmer sur la terre a été cassé.
Mais, je le rappelle, le scénario ne décrit pas seulement du cas de Viviane. Le rêve parle de façon générale de la représentation régnante, dans laquelle l'enfant grandit.
Lors d'échanges, la lutte a porté un coup à l'image du dieu vivant parmi les hommes. La manifestation du dieu d'amour a été atteinte, cassée, mutilée. L'image du divin a perdu sa validité. Elle ne tient plus debout, elle ne tient pas la route. Elle est boiteuse, bancale. Son efficacité comme principe spirituel directeur s'en trouve affaiblie, handicapée, et beaucoup restreinte.
L'image suivante va montrer comment porter l'image divine, pour lui rendre son efficacité.
Deux compagnons sont avec le Christ, ce sont les pèlerins d'Emmaüs. Les compagnons se mettent chacun d'un côté, l'un place le bras gauche du Christ sur ses épaules, l'autre le bras droit. Le Christ peut ainsi poser son poids sur les épaules de ces deux hommes et avancer, ainsi porté, ainsi soutenu.
Ceux qui portent le Christ et l'aident à avancer lui offrent, à droite et à gauche, un soutien qui remplace celui des jambes handicapées.
Mais quel est donc cet équilibre perdu entre la droite et la gauche ? C'est l'équilibre entre tous les contraires, et par exemple : le conscient et l'inconscient, l'esprit et le corps, le bien et le mal, le positif et le négatif, le masculin et le féminin, le rationnel et l'irrationnel, le blanc et le noir, la vie et la mort, et tous les contraires qui caractérisent la vie sur la terre.
Cet équilibre est rétabli par les pèlerins d'Emmaüs
Les pèlerins d'Emmaüs ?
Ces deux hommes se rendaient au village d'Emmaüs, parlant avec chagrin de la mort du Christ qui venait d'être crucifié. Un compagnon de route se joignit à eux et ils l'invitèrent à passer la nuit chez eux.
A table, l'homme prit du pain, il rendit grâce, rompit le pain et le leur donna.
Alors les deux compagnons reconnurent le Christ, qui disparut. Ils allèrent immédiatement retrouver les apôtres pour témoigner et dire : « Le Christ est vivant, il était présent avec nous au dîner».
Pourquoi le rêve choisit-il ces pèlerins d'Emmaüs ?
J'ai longuement réfléchi à cette image, depuis que Viviane m'en a parlé.
Je pense qu'une interprétation n'est pas à exclure, celle que nous donne la langue des oiseaux. Je sais qu'elle va en faire bondir certains, mais je resterai fidèle d'abord au rêve et ensuite à ma démarche logique, méthodique, consciencieuse, quitte à choquer. Mais ce n'est pas moi qui choque, c'est le rêve. Je ne suis que la traductrice.
Ecoutons donc :
Emmaüs.
On entend d'abord « em », ...aime
Ma ? Ema, aima...?
Maüs ?....
Ces dernières sonorités ne donnent rien. Continuons à écouter les syllabes.
Aüs ? ...ha..üss... ?
Haïsse, haïssent !
Voilà, ces deux hommes sont ceux qui sont capables d'aimer et de haïr. Ce sont ceux là qui peuvent soutenir ce dynamisme défaillant du dieu d'amour chez la fillette et dans son entourage.
Oh la la ! Quel message ! Quel paradoxe !
Amour, soit, mais haine ? Comment peut-on haïr ?
Peut être convient-il de s'interroger quelque peu sur le sens de ces deux mots ? Voici ce qu'on peut lire par exemple dans le dictionnaire Lafaye de 1858 :
« Haine est le mot général, le nom propre de la passion excitée dans l'âme contre ce qui la blesse ou lui fait peine, comme amour est le nom de la passion produite en nous par ce qui nous agrée. »
Haïr, c'est l'instinct vital qui permet de se défendre contre ce qui fait mal, la colère qui réagit contre ce qui semble inacceptable.
Mais qu'est-ce que l'amour sans la haine ? Une valeur ne peut exister que par son contraire. Aimer et haïr, voilà deux valeurs qui s'opposent mais aussi, qui s'équilibrent et se complètent. S'ouvrir à l'autre, oui, mais aussi savoir marquer la limite.
Terminons l'étude de ce rêve :
Je sais que j'aurai à l'aider
Il est montré à Viviane que la manifestation divine de l'amour est handicapée, parce qu'il lui manque la haine, son aspect opposé et complémentaire. La fillette, puis la femme va avoir alors à travailler sur elle, pour soigner ce dynamisme blessé dans l'âme, rétablir l'équilibre entre les opposés dans l'image divine, lui redonner sa totalité. Elle sera amenée à comprendre et faire comprendre que le divin est une puissance paradoxale dans l'âme, qui demande à l'humain d'apprendre à concilier les contraires.
La suite du rêve amène l'enfant dans une expérience extatique qu'elle n'oubliera jamais ; ce rêve lui donnera la force intérieure pour contribuer à élargir les conceptions régnantes, à corriger la représentation bancale de la divinité, lui redonner sa puissance originelle, sa dimension paradoxale.
Conclusion
Que l'on considère les rêve de Diva avec l'éléphant blanc, de Morgane avec la mort du Dalaï Lama, le rêve de Viviane avec le Christ blessé, on constate que la vie spirituelle de ces femmes occidentales n'est pas valable. La conception du divin, quelle que soit la religion pratiquée est insuffisante, unilatérale, boiteuse. L'inconscient le sait, le montre dans le rêve et vient conseiller, demander de rétablir l'équilibre manquant, car il y va de la vitalité non seulement de la rêveuse, mais de son entourage.
La représentation valide du divin est perdue et comme l'a dit Jung, « un peuple qui perd ses dieux est un peuple qui meurt ».
Illustrations
Carl Gustav Jung
Etienne Perrot
Gayle Delaney et Christiane Riedel
Christ et Bouddha, 1890, du peintre français Paul Elie Ranson
Oiseau de feu : http://pensamientocritico.files- wordpress.com
Ballon de foot : http://28.img.v4.skyrock.net
Match : http://blogimages.skynet.be
Ballon dans le but : http://eag-tv.com
Concile de Nicée
Concile de Nicée
Excommunication
Coup de pied dans le tibia : http://photo.parismatch.com
Gregory Coupet du club Paris Saint Germain a pris un coup de pied qui lui a fracturé le tibia : http://4bp.blogspot.com
Les pèlerins d'Emmaüs, 1628, par le peintre hollandais Rembrandt
Caducée de feu : http://www.teaser.fr
Yeux bleus : Roméo Sarfati; http://static1.purepeople.com