Le rêve que j'ai choisi aujourd’hui est terrible, terrifiant et salutaire.
C'est un rêve sacré. Il est un de ces grands rêves qu'autrefois le rêveur ou la rêveuse se devait de raconter publiquement, parce qu'il concernait tout le groupe. Il en était ainsi dans toute l'Antiquité sur notre continent et en Amérique chez tous les Indiens.
Vous savez que le rêve vient souvent faire le commentaire d’une situation vécue la veille. Voici donc les circonstances dans lesquelles Michèle a reçu ce rêve.
La rêveuse s’enthousiasme avec sincérité à de multiples démarches qui se veulent thérapeutiques. Grande experte en astrologie, psychothérapeute jungienne en rêve éveillé libre, elle est aussi devenue adepte du bouddhisme et pense que l’Amour Universel et l’ouverture du cœur vont apporter le bonheur au monde. La pratique du bien va exclure le mal.
Elle vient ainsi de publier sur le net un article qui explique que le mal n’est que l’absence du bien.
« ...le Mal n'existe pas ou au moins il n'existe pas de lui-même. Le Mal est simplement l'absence de Dieu. Il est comme l'obscurité et le froid, un mot que l'homme a créé pour décrire l'absence de Dieu. Dieu n'a pas créé le mal. Le Mal n'est pas comme la foi, ou l'AMOUR qui existe tout comme la LUMIÈRE et la chaleur. Le Mal est le résultat de ce qui arrive quand l'homme n'a pas l'AMOUR de Dieu dans son coeur. Il est comme le froid qui vient quand il n'y a aucune chaleur ou l'obscurité qui vient quand il n'y a aucune LUMIÈRE. » (1)
Pour notre amie le mal n’existe pas.
Cette façon de voir a été développée par le docteur de l'Église saint Augustin (354-430) dans sa doctrine de la « privatio boni », « l'absence du bien» : elle affirme d'emblée que Dieu est le Bien Suprême, le « Summum Bonum » ; il n'a pas crée le mal qui n'existe pas en soi, le mal n'est que l’absence du bien, l'absence de Dieu.
Il en découle que tout le bien vient de Dieu et que le mal vient de l'homme.
Cette doctrine, sans preuve ni démonstration, pose comme un principe incontestable et définitif son affirmation de base, « Dieu est le Bien suprême ». Ce faisant, elle considère comme admis par tous ce qui justement devrait être démontré ; il y a là une faute de logique qui s'appelle une pétition de principe.
Cette doctrine s'occupe de donner une définition métaphysique de la divinité.
Fort bien.
Elle définit Dieu comme Bien suprême et l'absence de Dieu comme le Mal.
Entendu.
Mais le bien comme le mal sont des concepts moraux humains. Comment peut-on alors s'autoriser à donner à des concepts humains une dimension métaphysique ?
La « privation boni » s'avère être une conception anthropomorphique de Dieu, que Jung, le génial psychiatre suisse, n’a pas cessé de dénoncer, parce que son exploration de l'inconscient et des rêves l'a amené à des conclusions opposées.
Après avoir lu sur le net l'article de Michèle, je lui envoie un mail pour lui expliquer que ce propos est en désaccord total avec les travaux de Jung sur l’alchimie et les rêves.
La nuit après mon courrier, Michèle reçoit un rêve affreux. Le lendemain, avec beaucoup de gentillesse et de bonne volonté, elle m’honore de sa confiance et m’adresse son message nocturne.
Rêve
J’étais dans le pilier droit d’un temple ou d’une entrée d’un lieu sacré…J’étais comme la mémoire du pilier, mais je bougeais dedans, c’était plutôt confort.
Un chariot est passé tout près de moi et a frotté le pilier. Alors, dans le chariot, le Christ, qui était lié, a tourné la tête et m’a souri. Il n’avait plus de dents, et ses lèvres étaient blessées, rougies de sang. Sa tunique rouge couvrait ses pieds liés par un long serpent noir. Le serpent noir pleurait et léchait les pieds du Christ. Il y avait des œufs verts sur le plancher du chariot. Le Christ pondait ces œufs verts sous sa tunique.
Je suis sortie du pilier et j’ai avalé des œufs.
Que veut dire ce rêve choquant, bouleversant ?
Voyons l'interprétation.
J’étais dans le pilier droit d’un temple ou d’une entrée d’un lieu sacré, j’étais comme la mémoire du pilier, mais je bougeais dedans, c’était plutôt confort.
L’image est surprenante. On s’attendrait à « je me tiens contre le pilier » ou « à côté du pilier. » « Je suis dans le pilier droit » montre que la rêveuse est intégrée dans le pilier, dans la pierre, elle est comme pétrifiée, rigide.
D’emblée le rêve montre une opposition entre la droite et la gauche.
A droite, de façon consciente et intellectuelle, la rêveuse professe les normes et les idéaux de la mentalité extérieure, l’amour universel et le bien. Elle les soutient, elle en est même la mémoire. Elle transmet ce qu’elle a consciemment appris. Et c’est plutôt confort.
Elle n’a aucun contact avec le pilier gauche, avec le domaine de l’inconscient, qui n’est pas conforme à l’ordre conscient : les ressentis, les émotions, les rêves, les pensées spontanées involontaires, les intuitions, l’irrationnel : voilà le négatif, ce qui met mal à l'aise, c'est là que se trouve le mal qu’elle nie, parce que nier le mal est plus facile et confortable que de l'affronter et le vivre.
D'où vient le mal ? Qui ose regarder en face le problème du mal, qui est tellement dérangeant, inquiétant, douloureux ?
C’est bien plus facile dire qu'il n'existe pas.
Cette première image du rêve illustre donc la position consciente de notre rêveuse la veille, quand elle a affirmé que le mal, n’étant que l’absence de bien, l’absence de Dieu, n’existe pas.
Le rêve va maintenant dérouler devant nos yeux ce qui advient au niveau humain, si Dieu est le « Summum Bonum ». Que se passe-t-il, si le mal n’existant pas, Dieu s'incarne dans l’humain, sous l’image de son fils, le Christ ?
Regardons le rêve :
Un chariot est passé tout près de moi et a frotté le pilier.
Ce chariot ? Qu'est-ce donc ? La rêveuse me répond :
- C'est un chariot à ridelles.
Un chariot à ridelles ? Mais c'est mon nom !
Ce chariot symbolise alors le travail que j'accomplis avec les rêves. Et la veille, en effet, j'ai heurté Michèle dans son positionnement à droite, quand je lui ai écrit mon désaccord.
Alors, dans le chariot, le Christ, qui était lié, a tourné la tête et m’a souri.
Je suis bouleversée : le rêve de Michèle vient m'apprendre que mon travail porte le Christ.
Qui est le Christ ?
C’est un homme qui toute sa vie a agi en suivant sa voix intérieure et non les règles de la morale extérieure. Il n'a pas choisi exclusivement la position dans le pilier droit du temple. Il a su concilier le monde extérieur et le monde intérieur.
Il s’est opposé constamment à l’ordre conscient régnant. Malgré la désapprobation et la fureur des prêtres, dignes ancêtres des talibans, il a par exemple, sauvé une femme adultère en train d’être lapidée ;
le jour du sabbat où toute activité est interdite, il a soigné les malades ; malgré le scandale, il a pris dans son entourage proche la prostituée Marie Madeleine. Toutes ces rébellions contre la moralité régnante étaient des gestes d'amour.
Mais le Christ en colère a aussi exprimé ouvertement sa haine, quand saisissant un fouet, il a chassé brutalement les marchands du temple.
A de nombreuses reprises, devant la foule, il insulte aussi les pharisiens. Il s'acharne et on entend : « Hommes au cou raide », insensés, aveugles, hypocrites ».
Est-ce qu'il leur dit « Vous n'aurez pas ma haine ? »
Non, il les maudit et leur lance :
- « Malheur à vous, race de vipères ? (2)
Qu'est-ce que l'on éprouve quand on en vient à lancer une malédiction contre quelqu'un? Quelle est la force qui pousse à vouer l'autre au malheur. Est-ce que cela ne s'appelle pas la haine, cette passion de l'âme contre ce qui la blesse ou lui fait peine ? (3)
Est-ce que le Christ a peur ? Non, il a le courage, il affronte publiquement.