Quand Chantecler le coq reçoit un songe
Mes dernières études étaient sévères, elles concernaient les événements de Pâques. Je pourrais vous dire encore bien des choses à ce sujet, mais j'aime aussi varier mes études. Aujourd'hui, j'ai donc choisi pour vous un récit amusant, qui fut écrit voici bientôt 850 ans dans la campagne française du Haut Moyen-Age. Nous y retrouvons les poules, dont les rêves nous parlaient dernièrement (1). À l'époque elles étaient finaudes et sages. Nous y voyons aussi le coq et le renard qui rôde.
Mais surtout il est question des rêves !
Voici l'histoire :
Il arrive à Renart de se présenter devant un village fort abondamment peuplé de coqs, poules, jars, oisons et canards. Dans l'enclôt, messire Constant Desnois, un paysan fort à l’aise, avait sa maison garnie des meilleures provisions, de viandes fraiches et salées. D’un côté, des pommes et des poires ; de l’autre le parc aux bestiaux, formé d’une enceinte de pieux de chêne recouverts d’aubépins touffus. C’est là que Constant Desnois tenait ses volailles à l’abri de toute surprise. Renart s’approche doucement de la clôture. Mais les épines entrelacées ne lui permettent pas de franchir la palissade.
Il entrevoit les poules, il suit leurs mouvements, mais il ne sait comment les joindre. S’il quitte l’endroit où il se tenait accroupi, et si même il ose tenter de bondir au-dessus de la barrière, il sera vu sans aucun doute, et pendant que les poules se jetteront dans les épines, on lui donnera la chasse, on le happera, il n’aura pas le temps d’ôter une plume au moindre poussin.
Il a beau se battre les flancs et, pour attirer les poules, baisser le cou, agiter le bout de sa queue, rien ne lui réussit.
Enfin, dans la clôture, il avise un pieu rompu qui lui promet une entrée facile : il s’élance et tombe dans une plate-bande de choux que le paysan avait ménagée. Mais le bruit de sa chute avait donné l’éveil à la volatile ; les poules effrayées se sauvent vers les bâtiments. Ce n’était pas le compte de Renart.
D’un autre côté, Chantecler le coq revenait d’une reconnaissance dans la haie ; Il voit fuir ses vassales, et ne comprenant rien à leur effroi, il les rejoint la plume abaissée, le col tendu. Alors, d’un ton de reproche et de mécontentement :
« Pourquoi cette presse à regagner la maison ? Êtes vous folles ? »
Pinte, la meilleure tête de la troupe, celle qui pond les plus gros œufs, se charge de la réponse :
« C’est que nous avons eu bien peur.
– Et de quoi ? Est-ce au moins de quelque chose ?
– Oui.
– Voyons.
– C’est d’une bête des bois qui pouvait nous mettre en mauvais point.
– Allons ! dit le coq, ce n’est rien apparemment, restez, je réponds de tout.
– Oh ! tenez, cria Pinte, je viens encore de l’apercevoir.
– Vous ?
– Oui ; au moins ai-je vu remuer la haie et trembler les feuilles de chou sous lesquelles il se tient caché.
– Taisez-vous, sotte que vous êtes, dit fièrement Chantecler, comment est-ce qu'un goupil, un putois même pourrait entrer ici ? La haie n’est-elle pas trop serrée ? Dormez tranquilles ; après tout, je suis là pour vous défendre. » Chantecler dit, et s’en va gratter un fumier qui semblait l’intéresser vivement. Cependant, les paroles de Pinte lui revenaient, et sans savoir ce qui lui pendait à l’œil, il affectait une tranquillité qu’il n’avait pas. Il monte sur la pointe d’un toit.
Là, un œil ouvert et l’autre clos, un pied crochu et l’autre droit, il observe et regarde çà et là par intervalles, jusqu’à ce que las de veiller et de chanter, il se laisse involontairement aller au sommeil.
Alors il est visité pas un songe étrange.
Il croit voir un objet ,qui, de la cour s’avance vers lui, et lui cause un frisson mortel. Cet objet lui présentait une pelisse rousse avec une gueule, ou bordée de petites pointes blanches ;
Lui, Chantecler, endossait la pelisse fort étroite d’entrée, et, ce qu’il ne comprenait pas, il la revêtait par le collet, si bien qu’en y entrant, il allait donner de la tête vers la naissance de la queue. D’ailleurs, la pelisse avait la fourrure en dehors, ce qui était tout à fait contre l’usage des pelisses. Chantecler épouvanté tressaille et se réveille :
« Saint-Esprit ! dit-il en se signant, défends mon corps de mort et de prison ! »
Il saute en bas du toit et va rejoindre les poules dispersées sous les buissons de la haie. Il demande Pinte, elle arrive.
« Ma chère Pinte, je te l’avoue, je suis inquiet à mon tour.
– Vous voulez vous railler de nous apparemment, répond la poule ; vous êtes comme le chien qui crie avant que la pierre ne le touche. Voyons, que vous est-il arrivé ?
– Je viens de faire un songe étrange, et vous allez m’en dire votre avis.
J’ai cru voir arriver à moi je ne sais quelle chose portant une pelisse rousse, bien taillée sans trace de ciseaux. J’étais contraint à m’en affubler ; la bordure avait la blancheur et la dureté de l’ivoire ; la fourrure était en dehors, on me la passait en sens contraire, et comme j’essayais de m’en débarrasser, je tressaillis et me réveillai.
Dites-moi, vous qui êtes sage, ce qu’il faut penser de tout cela. »
« Eh bien tout cela, dit sérieusement Pinte, n’est que songe, et tout songe, dit-on, est mensonge.
Cependant je crois deviner ce que le vôtre peut annoncer.
L’objet porteur d’une rousse pelisse n’est autre que le goupil, qui voudra vous en affubler. Dans la bordure semblable à des grains d’ivoire, je reconnais les dents blanches dont vous sentirez la solidité. L’encolure si étroite de la pelisse c’est le gosier de la méchante bête ; par elle passerez-vous et pourrez-vous de votre tête toucher la queue, dont la fourrure sera en dehors. Voilà le sens de votre songe ; et tout cela pourra bien vous arriver avant midi. N’attendez donc pas, croyez-moi ; lâchons tous le pied, car je vous le répète, il est là, là dans ce buisson, épiant le moment de vous happer. »
Mais Chantecler, entièrement réveillé, avait repris sa première confiance.
« Pinte, ma mie, dit-il, voilà de vos terreurs, et votre faiblesse ordinaire. Comment pouvez-vous supposer que moi, je me laisse prendre par une bête cachée dans notre parc ! Vous êtes folle en vérité, et bien fou celui qui s’épouvante d’un rêve.
– Il en sera donc, dit Pinte ce que Dieu voudra : mais que je n’aie plus la moindre part à vos bonnes grâces, si le songe que vous m’avez raconté demande une autre explication.
– Allons, allons, ma toute belle, dit Chantecler en se rengorgeant, assez de caquet comme cela. »
Et de retourner au tas qu’il se plaisait à gratiller. Peu de temps après, le sommeil lui avait de nouveau fermé les yeux.
Le rêve de Chantecler est-il prémonitoire ?
Nous le verrons la prochaine fois.
Bibliographie
Ce récit est extrait du " Roman de Renart ", un recueil de récits animaliers écrit par différents auteurs au cours du Moyen Age.
(1) http://christiane-riedel.blogspirit.com/archive/2015/11/23/non-les-poules-n-ont-pas-de-dents-3060765.html
Illustrations
Je remercie les artistes et les photographes dont les oeuvres m'ont permis d'illustrer mon blog.
Renard : pratique.fr
Coq : ouest-france.fr
Coq sur le toit : gersicottigersicotta.fr
Gueule de renard : poulesetcie.com
Coq et poule : sulmtaler.at
Coq chantant : nettoue.eklablog.net
Commentaires
"Nous le verrons la prochaine fois", un peu de patience ...
Je vais faire du ménage dans mes liens où il y a plein d'inactifs et même de décédés.Je vais mettre votre blog en lien et je voudrais savoir si vous préférez votre nom ou celui du blog. Amitiés en Jung.