ENCORE UNE MISE AU POINT : DIEU, C'EST QUOI ? (15/11/2022)
ENCORE UNE MISE AU POINT
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DIEU, C'EST QUOI ?
De quoi parle-t-on exactement ?
"VOCATUS ATQUE NON VOCATUS, DEUS ADERIT"
"INVOQUÉ OU NON, DIEU SERA PRÉSENT"
Cette parole est un oracle de Delphes. Jung l'a gravée au dessus de la porte de sa maison à Küssnacht.
Il en donna la raison :
"Une autre approche commence ici, dit-il, non pas celle de la chrétienté, mais de Dieu Lui-même, et cela semble être la question ultime et primordiale".
Peut-on définir Dieu ?
Certainement pas pour les Hébreux qui l'appelaient le Sans Nom, l'Inqualifiable.
Je laisse la place aux explications de Jung, qui, de façon permanente, parle de Dieu dans ses ouvrages, ses conférences, ses cours. Je n'ai rien lu de plus clair et de plus juste, ou du moins qui corresponde à mon expérience.
Lors de l'émission "Face à Face" de la B.B.C. en 1959, le journaliste demanda à Jung :
"Croyez-vous en Dieu ?". Jung répondit :
"- Je n'ai pas besoin de croire en Dieu ; je sais." (1)
Cette réponse provoqua immédiatement un flot de lettres écrites par ceux qui croyaient que la foi de Jung en "Dieu" était la même que la leur ; d'autres auditeurs disaient qu'ils ne croyaient pas en "Dieu", alors que d'autres encore voulaient savoir ce qu'il entendait au juste par "Dieu".
Dans l'impossibilité de répondre à ces nombreux correspondants, Jung choisit d'exprimer sa pensée sur ce point dans une lettre datée du 21 janvier 1960 qui fut publiée dans le journal anglais The Listener : (2)
Monsieur,
J'ai reçu de nombreuses lettres dans lesquelles il était fait état de mes propos sur la "connaissance" (de Dieu).
Ma façon de concevoir la "connaissance de Dieu" est peu conventionnelle et je comprendrai fort bien que l'on me reprochât de ne pas être un bon chrétien. Pourtant je me considère chrétien car je me fonde sur des concepts chrétiens. J'essaye seulement d'échapper à leurs contradictions internes en faisant intervenir une attitude plus
modeste qui tienne compte des vastes ténèbres qui règnent dans l'âme humaine.
L'évolution continue de l'idée chrétienne, comme celle du bouddhisme également, est une preuve de vitalité. Notre époque a certainement besoin de voir se développer un nouveau mode de pensée à ce sujet, car il n'est plus possible de continuer à penser à la façon des Anciens ou des chrétiens du Moyen Âge lorsque nous pénétrons dans le domaine de l'expérience religieuse.
Je n'ai pas dit au cours de l'émission radiophonique en question : "Dieu existe". J'ai dit :
"Je ne crois pas en Dieu : je sais".
Ce qui ne veut pas dire que je connaisse un certain Dieu (Zeus, Jahvé, Allah, le Dieu de la Trinité, etc...) mais plutôt :
je sais que je me trouve, de toute évidence, en face d'un facteur inconnu que j'appelle "Dieu" en consensu omnium ("quod semper, quod ubique, quod ab omnibus creditur") ( ce qui est toujours admis, partout et et par tous) .
Je me souviens de Lui, je L'évoque, chaque fois que je me sers de Son nom lorsque la colère ou la crainte m'envahit, chaque fois qu'involontairement je dis :
"Oh Dieu !".
Ceci se passe chaque fois que je rencontre quelqu'un ou quelque chose de plus fort que moi. C'est une expression heureuse qui convient à toutes les émotions irrésistibles de mon propre système psychique, (toutes ces émotions) qui maîtrisent ma volonté consciente et s'emparent du contrôle que j'exerce sur moi-même.
C'est le nom par lequel je désigne tout ce qui traverse mon chemin violemment et sans ménagement, tout ce qui bouleverse mes idées subjectives, mes plans et mes intentions et qui change le cours de ma vie pour le meilleur et pour le pire.
D'accord avec la tradition, j'appelle "Dieu" la puissance du destin sous son aspect positif comme sous son aspect négatif et dans la mesure où son origine n'est pas vérifiable ; c'est un "dieu personnel" puisque mon destin signifie surtout moi-même, surtout quand il me parle sous la forme de la conscience comme une vox Dei avec laquelle je puis même m'entretenir et discuter. Nous faisons et en même temps nous savons que nous faisons. Nous sommes sujets et objets à la fois.
Et cependant, je considère qu'il serait intellectuellement immoral de se permettre de penser que le dieu que je conçois est l’Être universel et métaphysique. Seule mon expérience personnelle peut être bonne ou mauvaise, mais je sais que la volonté supérieure repose sur une base qui transcende l'imagination humaine.
Étant donné que je connais ma confrontation avec une volonté supérieure, je connais Dieu, et si, de façon illégitime, je tentais d'hypostasier* ma représentation, je dirais que je connais un Dieu qui est au-delà du bien et du mal, qui règne en moi comme ailleurs :
"Deus est circulus cuius centrum est ubique, cuius circumferen-tia vero nusquam." « Dieu est un cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part. »
Je pense qu'on ne peut répondre plus clairement que cet exposé de Jung à la question posée au début de cet article : « Dieu, c'est quoi ? De quoi parle-ton exactement ?
Pour conclure ces considérations, je rappellerai aussi ce que Jung écrit dans Ma vie :
"La possibilité d'une réalité autre, existant derrière les apparences, devient un problème inéluctable : notre monde est en rapport avec un autre ordre des choses." (3)
Ces quatre exposés des préliminaires nous ont amenés à réfléchir sur des considérations fort sérieuses.
Et la prochaine fois, nous nous accorderons un moment de pause.
A bientôt
* hypostasier : considérer comme une substance réelle ce qui n'est qu'une idée. Prendre pour une réalité, pour un fait concret ce qui est une idée.
Remarque
Je me suis permis de reprendre la présentation très serrée des lignes écrites par Jung. J'ai aménagé des paragraphes pour donner une approche plus aérée, moins compacte, plus facile à lire.
Bibliographie
(1) Émission de la B.B.C. en 1959 ("Face à Face")
(2) Lettre datée du 21 janvier 1960 qui fut publiée dans le journal anglais The Listener
(3) Ma vie, Souvenirs Rêves et pensées, C.G.Jung, éd. Gallimard Folio, 1973
Illustrations
Je remercie les artistes dont les œuvres m'ont permis d'illustrer mon blog
- Photographie de Jung par le journal « The Listener »
- « Dieu est une sphère…. » qqcitations.com
- Tête raphaèlesque éclatée de Salvator Dali : mondopuzzlz.it
11:14 | Lien permanent | Commentaires (4)
Commentaires
Merci pour cet article très intéressant Mme Christiane Riedel . Evidemment la question de l'existence de Dieu se pose plus âprement encore après l'effrayante inhumanité de la Shoah .
Écrit par : Giraudet | 15/11/2022
Bonsoir Mr Giraudet
A mon tour je vous remercie pour votre commentaire bienvenu.
Vous posez la question sur l'existence de Dieu quand on considére les horreurs de la Shoha.
Est-ce que je me trompe si je comprends que votre formulation n'interroge pas sur l'existence de Dieu à proprement parler, mais la façon dont il se manifeste sur terre ?
Il me semble que c'est ce que vous voulez dire, car vous avez touché dans le mille en mettant en évidence l'opposition abyssale qui règne entre le dieu bon de la tradition chrétienne et « l'effrayante inhumanité de la Shoha ».
La Shoha, oui, et pas que...et tout le reste…
Le problème du bien et du mal.
Question horriblement douloureuse à laquelle on ne peut pas échapper et à laquelle les rêves viennent répondre.
Jung dans sa lettre a mentionné cette question en expliquant son expérience de ce qu'il appelle « Dieu » :
« C'est le nom par lequel je désigne tout ce qui traverse mon chemin violemment et sans ménagement, tout ce qui bouleverse mes idées subjectives, mes plans et mes intentions et qui change le cours de ma vie pour le meilleur et pour le pire. »
Et plus loin il poursuit :
« Étant donné que je connais ma confrontation avec une volonté supérieure, je connais Dieu, et si, de façon illégitime, je tentais d'hypostasier* ma représentation, je dirais que je connais un Dieu qui est au-delà du bien et du mal, qui règne en moi comme ailleurs …
J'ai abordé ce sujet dans mon premier livre Rêves à Vivre, au chapitre « Mort et Renaissance ». Je le reprendrai bientôt dans ces pages, dans la deuxième partie du livre.
Mais plutôt que de vous faire attendre, je vous donne un grand rêve que j'ai expliqué et qui traite ce sujet.
Elisa se voit au centre d'une cathédrale qu'elle visite dans le recueillement. Dans la croisée du transept il lui est montré alors l'image de Dieu.
Elle lève la tête et à droite, dans le transept, elle contemple Dieu qui se présente à elle de dos. Il ne lui est pas donné de Le contempler face à face, cela fut réservé à Moïse. Non, elle le voit de dos et elle est impressionnée par la robe de Dieu. C'est une robe à larges plis, d'un blanc un peu jaune, comme la laine, et cette robe s'épanouit en une large traîne.
De tout cela émane une impression grandiose de totale puissance, de calme souverain.
La rêveuse reste pétrifiée, écrasée par la majesté de cette image.
Alors la traîne de la robe se soulève et découvre ce qu'il y a sous la traîne ; la rêveuse regarde cette partie cachée du corps de Dieu et, à son indicible stupéfaction, elle voit... une queue de serpent !
Elle est effarée, mais à peine voit-elle cette image et cette queue qui ondule qu'elle voit tout à coup cette queue noire se dresser et devenir une queue de scorpion.
Et la rêveuse est broyée par la terreur, elle sent ses cheveux se dresser sur sa tête et elle se réveille dans un état innommable, qui lui fait comprendre ce que les Anciens appelaient "l'horreur sacrée".
Chaque nuit les rêves viennent nous enseigner.
Alors je vous souhaite une nuit instructive.
Christiane Riedel
Écrit par : Christiane Riedel | 15/11/2022
Un grand merci à vous Christiane Riedel pour cette explication formulée en termes accessibles quant à une compréhension aisée. Votre travail est d'une grande valeur pour nous permettre de saisir pleinement certaines significations de C.G.Jung ...
Je remercie également monsieur Giraudet pour sa remarque si légitime sur l'existence Dieu de façon plus "âpre" que celle de l'inhumanité ; elle vous a permis de communiquer un éclaircissement profitable à tous. Et oui, pas seulement la Shoah pour la cruauté, il y a aussi tout le reste quel qu'en soit le domaine.
Merci aussi pour le "très beau rêve" d'Elisa nous confortant dans la pensée de C.G.Jung !
"Dieu est un cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part" - je l'assimile à ce que je crois depuis bien longtemps et en l'occurrence, que chacun de nous est Dieu et Diable "en même temps, à l'intérieur de notre espace personnel". Auquel cas, il n'y a pas de Divin sans Horreur sacrée et vice versa.
A nous d'utiliser notre libre-arbitre selon... de le servir et de le mettre en œuvre.
Écrit par : Catherine Molton | 16/11/2022
Merci christiane pour ce beau travail que tu nous as prepare avec ta rigueur que nous connaissons bien.
Ce qui m inspire est de dire que dieu est un equilibre a trouver dans notre vie quotidienne. A travers nos contradictions, nos peines nos joies nos peurs notre envie de ne pas voir les choses en face, notre refus de faire mal, bien sur que nous gardons notre libre arbitre.mais quand la loi divine se presente a nous dans les reves n est ce pas une benediction que de pouvoir et vouvoir la suivre? En la comprenant ne serions nous pas decharges de toute culpabilite a toutes fin de la mettre en application?
J aime enfin a rappeler le film indiana jones et les croisades.Indi saute dans le vide et parcequ il manifeste sa confiance en dieu la passerelle se deploie... c est cela Dieu? Une entite qui nous depasse et qui nous demande de nous depasser
Écrit par : Collard bovy | 16/11/2022