INITIATION (06/09/2009)
Les vacances sont terminées, les activités reprennent et c’est le moment où souvent on choisit de suivre une démarche dans l’espoir de s’instruire, se développer, et parvenir à une meilleure connaissance de soi et du monde. « Connais-toi toi-même, et tu connaîtras l’Univers et les dieux » pouvait-on lire déjà il y a 25 siècles au fronton du temple d’Apollon dans la cité oraculaire de Delphes. Pour approfondir leur étude, certains se tournent par exemple vers une école ésotérique ou une autre, et y cherchent un enseignement plus ou moins secret qui les amène à comprendre les mystères de la vie et parvenir ainsi à l’« Initiation ». C’est le cas de Ruben qui est venu me voir il y a plus de 20 ans. Je vous invite à le découvrir.
Ruben est un avocat de Dakar qui cherche sincèrement à vivre en relation avec le divin. Il est un membre actif dans son église, il y tient l’orgue le dimanche. Il poursuit aussi à côté des recherches ésotériques, il voudrait devenir un « Initié ».
Cet espoir lui occupe l’esprit et son rêve, une nuit, vient lui en parler. Le voici :
Rêve : D’un signe de tête il me montre la rue
Je suis dans l’entrée d’un immeuble qui donne sur la rue. Je me tiens debout, devant une porte fermée et j’attends.
J’attends qu’on m’ouvre. Je sais que derrière la porte a lieu la réunion d’une grande assemblée, et que c’est le jour des initiations.
Je sais que le Grand Maître de la loge est derrière cette porte et j’attends qu’on m’ouvre pour me faire participer à la cérémonie où je recevrai à mon tour l’Initiation.
J’attends…, rien ne se passe,… j’attends… et je commence à désespérer. Je me sens rempli de peine, parce que je ne serai pas initié et resterai à l’écart du divin. Je me sens misérable.
Alors la porte s’ouvre et un homme apparaît. Il n’est pas grand, il est costaud, râblé, ventripotent. Il a des cheveux roux, il a retiré son veston et porte un gilet sur sa chemise. Son pouce est passé sous son gilet et il fume un cigare. Il me fait penser à un homme d’affaires, un juif capitaliste américain. Il me regarde avec bonté et me demande ce que je fais là. Je lui explique mon intense désir de recevoir l’initiation, et mon désarroi de ne pas être admis. Il m’écoute avec beaucoup d’intérêt et d’attention et tout d’un coup, il secoue la tête et me dit :
- Eh bien, non, voyez-vous, l’initiation, ce n’est pas là que vous allez la recevoir.
Et d’un signe de la tête il me montre la salle derrière la porte. Non, poursuit-il, l’initiation, c’est là que vous la recevrez, et du mouvement contraire de la tête, il m’indique la rue.
Pendant qu’il me parle avec tant de gentillesse et de sollicitude, je comprends soudain que cet homme, c’est le grand Maître, c’est Dieu.
Je me réveille, bouleversé.
Interprétation
Le début du rêve est très clair. La fin du rêve mérite qu’on l’étudie.
Ruben, dans son désir humble et sincère a réellement rencontré dans son rêve la dimension divine sous une image qui lui est totalement personnelle.
Que penser d’une image divine dans les rêves ?
On ne peut pas affirmer que le divin soit comme l’image du rêve, on ne peut rien dire du divin en mots humains. On peut seulement prendre en considération les images sous lesquelles il se présente, mais on ne peut rien dire de son être, car rien ne garantit que l’image du rêve individuel corresponde à l’être.
L’interprète de rêves ne fait pas de métaphysique. Il étudie des faits concrets, réels : les rêves, expériences quotidiennes objectives, qui ont lieu par milliards toutes les nuits. L’interprète a pour objet une recherche qui se veut scientifique. Il constate et étudie les faits, il est empirique et n’en déduit aucune idée sur la nature des réalités ultimes, inaccessibles à l’humain.
Dans ces limites et à partir de là, il peut étudier, analyser l’image divine telle qu’elle se présente et en faire des déductions qui ne sont valables que pour le rêveur, précisons le bien encore une fois.
Analysons maintenant cette image du divin :
Un juif capitaliste
Le juif
Déjà un siècle avant J.-C. le célèbre avocat Cicéron, parlant des Juifs à Rome, admire leur esprit d’entreprise. Le juif a également la réputation d’être âpre au gain et près de ses intérêts. Il sait manier l’argent, le faire fructifier et produire de la richesse. Le peuple juif est un peuple « aurifère » et proscrit. (Victor Hugo)
Le capitaliste
Se basant sur la propriété privée des moyens de production et la liberté du commerce, il a pour but de maximiser les profits et d’accumuler des biens.
Un homme d’affaires américain
Comme le Juif, l’Américain a la réputation d’avoir le sens des affaires. Sa priorité est de créer de l’argent et d’en gagner en faisant des bénéfices. Il n’est pas taxé pour ses signes extérieurs de richesse, sa prospérité n’est pas montrée du doigt. Il jouit de la vie et de son argent, se paie des plaisirs coûteux, vit dans un luxe qu’il n’a pas peur d’étaler.
L’apparence et la tenue de cet homme
Tous les détails soulignent combien cet homme est décontracté, il ne se soucie pas d’être élégant, il a retiré son veston pour être à l’aise.
Il est ventripotent
Il ne cache pas son ventre sous son veston, il se montre tel qu’il est, sans artifices, il mange à son gré et ne se soucie pas de plaire en gardant la ligne.
Cette image du divin présente tout ce qui est souvent assez mal vu par les Français, marqués par les mouvements chrétiens et socialistes qui prônent le détachement personnel des richesses et des plaisirs matériels, désapprouvent le business pour la recherche de l’argent et du bénéfice, la vie dans le luxe et la décontraction.
Voilà donc une image très paradoxale du divin par rapport à l’optique traditionnelle ! Pourtant, ce n’est pas la première fois que nous rencontrons une image semblable dans les rêves : je l’ai exposée le 30 mars 08 dans le texte : « Il est un rêve étrange et débonnaire… » Ce rêve aussi, en 1930, présentait Dieu sous les traits d’un homme d’affaires américain, très tourné, comme notre avocat, vers l’ésotérisme. Dieu lui reprochait sa paresse dans son business.
Le divin homme d’affaires montre la rue comme lieu d’initiation
La rue
La rue est un lieu où chacun va et vient. La rue est un lieu de passage pour tout le monde. C’est là que se trouvent tous les magasins où l’on peut acheter ce dont on a besoin. La rue, avec ses commerces, est l’endroit des échanges par l’argent, les uns en dépensent et les autres en gagnent. C’est là que fleurit l’esprit d’entreprise capitaliste. La rue représente donc le monde extérieur, où l’on gagne et où l’on paie, ce quotidien banal qui fournit, dans les échanges et les affaires, tout le nécessaire pour vivre.
Ainsi dans ce rêve apparaît un renversement des valeurs fréquemment admises dans notre société. L’argent et les bénéfices ne sont pas condamnés, le monde des activités terrestres et des affaires a sa place dans la vie quotidienne et même, c’est justement ce niveau là qui mène à l’initiation, à la compréhension de la réalité et des lois mystérieuses de la terre.
Quel est le sens de ce rêve ?
Cet avocat voudrait faire partie d’une société d’hommes avec des traditions, des règles, des ordres, des savoirs, des connaissances secrètes, des exercices de contemplation, qui devraient le conduire à l’initiation. Mais non. L’initiation ne s’obtient pas ainsi selon le rêve. Le rêve invite au contraire le rêveur à se détourner de ses recherches ésotériques pour s’ouvrir à la réalité quotidienne, se plonger dans l’expérience humaine sous ses formes les plus communes : s’investir plus activement dans son métier, dans le tourbillon des affaires, oser gagner de l’argent par son travail ; entrer dans le flot de la vie avec tous ses changements ; accepter de vivre ses émotions, assumer les nécessités et les contraintes terrestres, sans chercher à s’en échapper dans des démarches mentales qui prétendent initier aux mystères de la vie.
Il est question pour cet homme de vérifier et corriger ses points de vue et sa façon de vivre, de redonner à la vie quotidienne la place prépondérante.
Pourquoi cet avocat a-t-il reçu cette image du divin ?
On peut se demander pourquoi le rêve choisit de présenter le divin à cet avocat sous cette image d’homme d’affaires. Sans doute est-ce parce que cet homme est de type intellectuel et contemplatif. Il vit au niveau des idées et du mental. Comme beaucoup, il confond réflexions et connaissances intellectuelles avec vie spirituelle. Le rêve vient alors compenser sa vision trop restrictive de la vie en lui montrant l’image de ce Dieu qui présente « toutes les tares », un homme d’affaires juif capitaliste américain, qui l’invite à descendre dans la rue.
Mais ce divin homme d’affaires possède également d’autres caractéristiques : Il s’intéresse personnellement à cet homme dont nul ne s’occupe, il s’est déplacé pour venir lui parler, il est bon, attentif et rempli de sollicitude. Le rêve souligne ainsi que l’on pourrait peut être bien être juif capitaliste américain, sans pour autant être dénué de qualité de cœur. On peut faire de l’argent tout en tenant compte de son entourage. Le business et l’humanité ne sont pas inconciliables.
Le rêve présente ainsi l’image paradoxale d’un homme qui a réussi à concilier des contraires.
Et c’est devant l’attitude si humaine de cet homme que le rêveur prend tout d’un coup conscience que c’est le Grand Maître qui est là devant lui, c’est Dieu.
Conclusion
Comme cela se produit chaque nuit pour tout le monde, c’est la dimension divine qui vient parler personnellement au rêveur. Ici elle se manifeste de façon directe. Elle révèle à Ruben une vérité que personne ne lui a jamais dite, qui lui semble presque invraisemblable. La véritable initiation s’accomplit dans les expériences de la vie terrestre, banale, matérielle, car c’est là que l’on se trouve amené à donner une forme à une idée, à la réaliser dans la matière, c’est là, dans la vie quotidienne, que s’accomplit l’incarnation de l’Esprit.
Je revois Ruben après l’interprétation de son rêve, il m’a remerciée et m’a fait l’un des compliments qui m’a le plus touchée dans ma carrière d’interprète.
Il m’a regardée et m’a dit :
- Madame, vous parlez comme nos marabouts.
La prochaine fois, je vous raconterai le rêve d’un autre Africain, qui, lui, suit un stage de formation commerciale. Là encore, il sera question du gagnant américain.
En attendant, chers blogueuses et blogueurs, je vous souhaite une joyeuse reprise de vos activités dans votre vie quotidienne.
Illustrations
Je remercie les photographes dont les photos m’ont permis d’illustrer mon blog.
Initiation
Andy Garcia fume le cigare.
Bouddha ventripotent :http.blog.uniterre.com
Capitaliste ventripotent : http://www.nanarland.com
10:21 | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : interprétation des rêves, christiane riedel, divin dans les rêves, initiation, juif, capitaliste, américain, rue
Commentaires
Bonsoir madame Riedel, j'ai beaucoup aimé cette interprétation, ce reve, vraiment chouette; ça m'a sorti quelques instants de mes gros souci de séparation et de divorce (avec 3 enfants, une maison, 17 ans de vie commune...)
Je travaille avec Marielle et je déplore le silence de mes nuits depuis 2 mois,
mais bon, ce reve est vraiment bien et tout votre travail aussi.
Bien amicalement
Mélina.
Écrit par : Doudoux Melina | 07/09/2009
Christiane je suis en admiration de l'ampleur de ton travail, de ton savoir, ton expérience, la multitude de tes sources et comment tu sais expliquer et trouver le sens.....Je peux comprendre ta passion! Merci de la partager avec nous, Marie -Madeleine
Écrit par : Marie-Mad. Riedel | 21/09/2009
Christiane je suis en admiration de l'ampleur de ton travail, de ton savoir, ton expérience, la multitude de tes sources et comment tu sais expliquer et trouver le sens.....Je peux comprendre ta passion! Merci de la partager avec nous, Marie -Madeleine
Écrit par : Marie-Mad. Riedel | 21/09/2009
Christiane je suis en admiration de l'ampleur de ton travail, de ton savoir, ton expérience, la multitude de tes sources et comment tu sais expliquer et trouver le sens.....Je peux comprendre ta passion! Merci de la partager avec nous, Marie -Madeleine
Écrit par : Marie-Mad. Riedel | 21/09/2009
Bonjour Mélina,
Votre visite et votre commentaire m’ont fait plaisir et je vous en remercie.
Je dois vous dire que moi aussi, ce rêve m’a fait du bien dans ma vie. En 1990, je me trouvais dans la même situation que vous, divorce après 18 ans de mariage, tout à reconstruire.
Ce rêve nous rappelle que quand nous nous trouvons ainsi poursuivis par les soucis, courbés bien bas sous la charge de la vie quotidienne, eh bien, c’est là que nous vivons la vraie vie qui nous initie à la transformation.
L’initiation ne vient pas de connaissances ésotériques plus ou moins secrètes, elle ne se trouve pas dans les lectures et les conférences, elle n’apparaît pas sur les chemins des ashrams et de Katmandou. Non, elle survient là où nous sommes, dans notre vie quotidienne.
Et quelle est donc cette initiation ?
Nous la découvrons quand nous nous abandonnons au flux de la vie, dans la patience, dans la persévérance, dans l’imperfection, en laissant advenir, sans nous acharner à vouloir faire en sorte que la vie s’accomplisse selon nos idées, surtout pas en cherchant à faire ce qui plait aux autres ou à agir selon le « qu’en dira-t-on ».
C’est dans l’épreuve du quotidien que la vie nous initie à son parcours.
L’initiation, la rencontre avec le divin ou la force de toutes choses ne s’accomplit pas en haut mais tout en bas, dans la rue, dans la vie quotidienne, là où vous êtes, chère Mélina, non dans les connaissances secrètes, mais dans la simplicité, dans le vécu banal. C’est là que cette force s’adresse à l’âme.
Certains se sont inquiétés de ce fait que l’initiation, la rencontre avec la réalité ultime n’ait plus lieu actuellement. Ils ont demandé un jour à un rabbin, pourquoi, alors que Dieu était apparu si fréquemment aux hommes d’autrefois, personne ne le voyait plus aujourd’hui. Le rabbin répondit :
« Aujourd’hui, il n’y a plus personne qui soit capable de se courber assez bas. » *
Si vous n’avez pas de rêves en ce moment, c’est sans doute parce que vous n’avez pas d’indications particulières ou de conseils à recevoir. Marielle, votre interprète de rêves vous a guidée avec justesse et vos rêves reviendront quand vous aurez besoin de nouvelles orientations.
Avec mes salutations amicales,
Christiane
* Cette histoire est rapportée par Jung dans « L’homme et ses symboles », p. 102, éditions Robert Laffont
Écrit par : Christiane Riedel | 02/10/2009